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  • Le nucléaire en France : chance ou erreur historique ?

    nucleaire_1.jpgOn le sait, en France, le nucléaire est un lobby fort, et la France se targue d'avoir de l'électricité nucléaire, moins polluante en CO2 que les centrales au fuel ou au gaz. Si ce choix des années 60 ou 70 était peut être le bon, il ne faudrait pas qu'aujourd'hui il prive la France de l'opportunité du développement des énergies renouvelables.

    Le nucléaire ne serait pas alors une "chance historique", comme l'a dit François Fillon, mais bel et bien une "erreur historique".

    C'est le sens du point de vue de Corinne Lepage, vice présidente du Modem, dans Le Monde du 5 juin : 

    "François Fillon, lors de sa visite au Tricastin, a qualifié de chance historique le choix nucléaire de la France. Il s'agit plutôt d'une erreur historique, car la situation de 2009 n'a rien à voir avec celle de 1973, mais les conséquences pour notre pays, en termes de responsabilité internationale, risquent d'être historiques.

    En 1973, le choix industriel du nucléaire pouvait paraître défendable : la question des déchets et du démantèlement était mal connue et Tchernobyl ne s'était pas produit. Aujourd'hui, les impasses du nucléaire, le coût du démantèlement et les risques sont non seulement connus mais accrus en raison du vieillissement des centrales, de la privatisation, qui ne peut que privilégier la rentabilité au détriment de la sécurité. Mais, surtout, la problématique industrielle n'a plus rien à voir.

    L'heure du grand retour du nucléaire dans le monde n'a pas sonné. Les pays industrialisés ne choisissent pas le nucléaire, et si certains envisagent de construire quelques réacteurs, ceux-ci ne compensent même pas ceux qui sont fermés. Le plan Obama ne consacre rien au nucléaire, abandonné depuis de longues années aux Etats-Unis pour cause de non-rentabilité. Au contraire, les investissements dans les énergies renouvelables à l'échelle planétaire ont explosé en 2008 et l'importance des relances vertes en Chine, aux Etats-Unis ou en Corée du Sud (plus de 400 milliards de dollars, soit 283,8 milliards d'euros) démontre la montée en puissance industrielle.

    Pour la première fois dans l'Histoire, l'Europe comme les Etats-Unis ont ajouté davantage de capacités de production d'énergies renouvelables en 2008 que de capacités d'énergies classiques. La production d'énergies renouvelables a atteint 280 GW, l'équivalent de trois fois le nucléaire américain. Au total, les investissements dans les énergies renouvelables ont atteint 120 milliards de dollars (+ 16 %) en 2008 et les capacités éoliennes installées 121 GWh, soit la capacité de 100 réacteurs nucléaires (+ 29 %). Le solaire photovoltaïque raccordé au réseau électrique a bondi de 70 % et la production mondiale de cellules photovoltaïques a presque doublé, avec une hausse de 90 % en 2008.

    Quant à l'argument selon lequel les énergies renouvelables ne pourraient qu'être subsidiaires, il est purement et simplement faux. Par exemple, l'Australie a annoncé un objectif de 45 térawattheure (TW) d'énergies renouvelables d'ici à 2020. Le Brésil veut accroître la part des énergies renouvelables dans les énergies primaires, où elles représentaient déjà 46 % en 2007. L'Inde vise l'équivalent de 14 centrales nucléaires en nouvelles capacités de renouvelables pour 2012 ; le Japon projette 14 GW de solaire photovoltaïque d'ici à 2020 et 53 GW pour 2030. Les projets de centrales thermosolaires, qui permettent une production massive d'électricité, se multiplient de 250 MW pour les plus petites à 850 MW en Californie et 1 GW en Inde.

    Dès lors, le risque avec le choix fait par le gouvernement est triple : industriel, financier, politique.

    1 - Industriel : anéantir l'industrie française du renouvelable et de l'efficacité énergétique, qui ne demanderait qu'à se développer, et, du même coup, nous priver du seul domaine de réindustrialisation solide de la France et de création d'emplois. Le même euro dépensé crée 15 fois plus d'emplois dans le renouvelable que dans la filière nucléaire. Il est illusoire de penser que nous développerons simultanément un grand plan de relance du nucléaire et une industrie des énergies renouvelables.

    C'est financièrement insoutenable et le modèle ne fonctionne pas : trop d'électricité nucléaire à consommer conduit à réduire les efforts d'efficacité énergétique et à voir EDF refuser de supporter les obligations de rachat à un prix correct de l'électricité issue des énergies renouvelables (EnR). Faute de la politique suivie par les pouvoirs publics, nous ne disposons pas de leader mondial, ni même européen, dans ces secteurs et nous n'en aurons pas si nous ne commençons pas par le marché intérieur.

    2 - Financier : imaginer que nos voisins vont se ruer sur l'électricité nucléaire, rien n'est moins sûr. L'électricité verte est encouragée et préférée par les consommateurs, et le pari de vendre plus d'électricité à l'export se heurte, d'une part, aux politiques de réduction de la consommation énergétique (objectif de 20 % d'augmentation de l'efficacité énergétique), et, d'autre part, aux efforts énormes faits par nos voisins pour augmenter leur potentiel d'EnR.

    Dès lors, le risque d'échec commercial est considérable, qui vient accentuer une situation financière déjà très fragile du secteur nucléaire ; Areva a un besoin de financement de 11 milliards d'euros, sans compter l'épée de Damoclès que constitue le réacteur EPR de Finlande (dont, au passage, les critiques très sévères faites par les Finlandais sur la conception et la réalisation de l'EPR font frémir), et EDF est dans une situation financière que certains jugent préoccupante. Mais le but n'est-il pas de rendre inévitable la privatisation de tout le secteur pour permettre à des financiers ou à de grandes entreprises comme Bouygues de mettre la main sur les investissements faits de longue date par les citoyens français, rachetant des actions d'entreprises endettées ?

    3 - Politique : enfin, et peut-être surtout, ce choix conduit notre pays à se transformer en VRP du nucléaire, en direction de préférence des pays les moins recommandables, dans la mesure où les clients habituels ne sont plus acheteurs. Ce faisant, nous prenons un risque majeur pour la planète entière en termes de Tchernobyl à répétition et de dissémination de produits radioactifs, sans parler des risques de répétition de situations à l'iranienne ou à l'irakienne dans des pays peu stables.

    Dès lors, ce choix, qui n'a pas été discuté puisqu'il a été sorti du Grenelle, qui n'a fait l'objet d'aucune évaluation, notamment au regard de l'intérêt des énergies renouvelables, risque d'être un véritable boulet pour l'économie française et de se transformer en erreur historique dont les seuls bénéficiaires pourraient être quelques entreprises en cour, qui pourront élargir leur gamme de produits énergétiques à bon compte."

    Voir aussi sur le même thème, un point de vue dans la tribune du 27 janvier.

  • Le temps de l'économie durable est arrivé

    Dans le quotidien le Monde daté samedi 23/8, Corinne Lepage, vice-présidente du Modem, écrit :

    En matière économique, la méthode Coué n'a guère d'efficacité. La récession à laquelle nous devons faire face devrait être l'occasion de mettre en place une révolution économique comparable à celle qu'a pu être, au moment de la crise de 1929, le New Deal. Certes, on pourrait objecter que ce n'est pas dans les périodes de récession que l'on peut changer les orientations, puisqu'il faut au contraire tout faire pour relancer la croissance, et par voie de conséquence privilégier les secteurs industriels traditionnels qui sont les plus conséquents en termes d'emplois. Mais c'est précisément parce que nous sommes dans une récession dont l'origine est due aux comportements " anti-durables " des acteurs économiques (" anti-durable " étant compris comme l'antithèse de ce qu'une démarche globale et intégrant le long terme aurait induit) que le moment est venu de faire notre révolution.

    Révolution énergétique d'abord, en tournant délibérément le dos à la société du pétrole. Cela implique d'employer toute notre capacité à continuer de réduire notre utilisation pétrolière, même si le prix du baril baisse. Rappelons que les ressources des sociétés et des Etats pétroliers n'ont jamais été aussi élevées, ce qui permet à ces derniers et à leurs fonds souverains de racheter à bas prix des pans entiers de l'économie occidentale.

    Les comportements des consommateurs ont commencé à changer. J'ose espérer que les arbitrages budgétaires pour 2009 continueront à les encourager dans cette voie, non seulement par le système du bonus-malus (puisque le bonus a un effet incitatif en termes d'achat, ce qui n'est pas négligeable en période de récession économique), mais également par la généralisation des plans de déplacements, par la systématisation du covoiturage, par une véritable impulsion donnée aux transports collectifs et aux déplacements doux. Toutes les conséquences doivent en être tirées, notamment l'abandon de toute nouvelle voirie autoroutière, pour transférer les crédits correspondants sur le transport collectif.

    Il faut également un changement complet de politique en termes d'aménagement du territoire pour rapprocher le domicile du travail, et favoriser les politiques de relocalisation que l'augmentation massive du coût de transport va enfin permettre. Le rapprochement des lieux de production des bassins de consommation va être rendu possible par un transport qui paiera la réalité de son coût et de son énergie. La réduction de notre dépendance énergétique passe bien sûr par une réduction massive de notre consommation énergétique indépendamment du transport. C'est l'occasion d'orienter les dépenses réduites des ménages et des entreprises non pas vers la consommation courante et inutile, mais vers des investissements générateurs d'économies pour les ménages et la collectivité.

    C'est une véritable reconversion industrielle qui apparaît nécessaire pour rendre possible un développement durable individuel et collectif. Cela veut dire aussi sortir de cette contradiction totale entre la publicité (au sens traditionnel ou au sens politique du terme) en faveur du " toujours plus " et la conscience de plus en plus répandue de l'impossibilité du " toujours plus ". Le développement doit être sobre, c'est-à-dire offrir moins de produits et davantage de services.

    Révolution alimentaire, également, en tournant le dos aux politiques suicidaires poursuivies dans les pays du Nord et du Sud. Celles-ci conduisent à une crise alimentaire dans les pays du Sud que les bonnes récoltes de 2008 ne suffiront pas à résoudre, à un renchérissement massif de l'alimentation dans les pays du Nord qui ne profite guère à l'immense majorité des agriculteurs et qui a conduit à une pollution pour des décennies des sols, des sous-sols et des eaux, notamment en France.

    Même des organismes favorables à l'agriculture intensive, comme l'Institut national de la recherche agronomique, reconnaissent que le moment est venu de changer de politique : relancer l'agriculture vivrière dans les pays du Sud, abandonner des cultures déraisonnables compte tenu de leurs besoins en eau dans les pays secs, généraliser le système des Associations pour le maintien d'une agriculture paysanne afin d' améliorer la qualité de vie des producteurs comme celle des consommateurs, utiliser la science, développer massivement les techniques de l'agriculture biologique et intégrée, réduire dans les villes du Nord la part carnée de l'alimentation au bénéfice des calories végétales.

    Le renchérissement du coût de la vie et une meilleure information en termes de santé permettent aux consommateurs des pays riches de changer leur comportement. La crise alimentaire mondiale rend obligatoire pour les pays du Sud un changement de stratégie auquel tous les responsables des choix tragiques d'hier les invitent !

    Révolution financière enfin, en sortant de la tragédie de l'immédiateté et de la cupidité qui veulent ignorer les conséquences à long terme, ignorance rendue d'autant plus facile que les conséquences en termes individuels apparaissent en règle générale inexistantes. Il est plus que temps que la pierre angulaire du libéralisme, c'est-à-dire la responsabilité, reprenne ses lettres de noblesse. Cela signifie que tout acteur économique ne serait plus assuré comme aujourd'hui de son impunité, voire de ses " parachutes dorés " en cas d'échec. Il serait au contraire assuré de sa responsabilité personnelle, ce qui impliquerait la prise en compte du long terme. De même, il est plus que temps de sortir d'un hyper-capitalisme financier qui tue l'économie réelle et se moque comme d'une guigne du long terme. C'est précisément en réintroduisant l'avenir dans les mécanismes financiers et dans les contrôles, qu'il s'agisse des règles prudentielles ou des limitations qui vont apparaître comme indispensables dans la liberté dont jouissent les fonds souverains par exemple, qu'une économie durable pourra se mettre en place.

    En réalité, ce à quoi la récession nous appelle est une révolution des valeurs. L'effacement de l'avenir dans nos sociétés, qui se traduit notamment par une hyper-matérialité, une valorisation extrême du court terme, voire de l'immédiat, est la cause de nos maux. Nous n'avons plus le choix d'un changement de paradigme. L'économie durable est le seul remède qui permettra à la planète à la fois de répondre aux limites physiques que rencontre la croissance et à la nécessité de permettre un développement harmonieux et plus solidaire de nos générations.