Il s'agit de la proposition n°5 du programme municipal 2008 de l'UMP: "Rendre compte de l'action municipale par l'élaboration d'un tableau de bord".
Autant le dire tout de suite : je suis favorable à cette mesure sur le principe.
Souvenez-vous, il y a quelques temps, le gouvernement avait lancé cette même idée pour suivre la performance de chaque ministère. Tollé dans l'opposition, y compris dans les rangs de François Bayrou. J'avais à l'époque rédigé la note suivante, je profite de la création de ce blog pour y revenir.
Introduction
Le gouvernement vient d’annoncer la décision de mettre en place des indicateurs pour évaluer ses actions, indicateurs définis et suivis pour chaque ministère. S’en est suivi un –relatif- tollé dans l’opposition et au Modem, où on dénonce « infantilisation » et « différence entre la France et une entreprise ». Je me permets d’être un peu surpris, et expose ci-après mon analyse.
En premier lieu, revenons sur les termes. On lit aujourd’hui que ces indicateurs serviront à « évaluer les ministres ». Je ne sais pas d’où vient la formule « évaluer les ministres », i.e. si le gouvernement l’a lui-même utilisé. Mais si ce terme semble clairement maladroit, F. Fillon a vite précisé qu’il s’agissait simplement d’utiliser quelques indicateurs clefs pour piloter l’action et infléchir la politique si les résultats attendus n’arrivent pas. Il ne s’agit donc pas d’évaluer des personnes, mais les actions de ces personnes.
Autrement dit une fois l’itinéraire tracé (le programme gouvernemental), il s’agit de mettre en place une sorte de GPS pour vérifier qu’on est bien sur la bonne route. Mais venons-en maintenant aux critiques, trouvées sur Internet.
La première critique : et l'évaluation du président ?
Commençons par la seule qui pour moi ait un sens : « le seul qui n’est pas évalué finalement avec cette méthode, c’est Nicolas Sarkozy lui-même » (et son premier ministre, mais on oublie tellement vite qu’il existe…).
La critique peut s’appliquer à François Fillon, mais plus difficilement à Nicolas Sarkozy, dont le poste est un poste d’élu et donc par définition « évalué » par le peuple tous les 5 ans. Par ailleurs si les ministres atteignent leurs objectifs mais que les français ne sont toujours pas plus heureux, il serait clair que ce serait le président qui serait en cause.
La seconde critique : infantilisant ?
La seconde critique est par exemple celle de François Bayrou : la démarche serait « infantilisante », on aurait l’impression de se retrouver sur les bancs de l’école… Je formule les 5 objections suivantes à cette critique :
- Infantilisant ou pas, en tant que citoyen je suis demandeur de données un peu factuelles, claires, autres que de l’enfumage littéraire embrouillant, sur ce que font les politiciens que j’ai élus.
- A la différence de l’école qui évalue l’acquisition d’un savoir par une personne, ici on évalue les effets de certaines actions. Et les effets de ces actions ne dépendent pas que de la qualité des ministres, mais aussi de l’évolution du contexte : une décision l’année N peut être remise en cause ou nécessiter un ajustement l’année N+1 suite à un événement externe et imprévu, ou à une erreur de jugement lors des prévisions.
- Il y a quelques temps, le ministère des finances sous l’impulsion de Thierry Breton avait créé un tableau de bord de l’économie pour mesurer la performance de la politique économique : je ne crois pas qu’à l’époque l’opposition se soit révoltée à cette annonce. Le dit tableau de bord est d’ailleurs consultable sur le site du ministère des finances : la mesure proposée aujourd’hui n’est ainsi qu’une généralisation d’une mesure que l’un des ministères avait prise de sa propre initiative pour auto-évaluer sa propre politique.
- Plusieurs municipalités ont décidé de mettre en place des « compteurs carbone », ou différents indicateurs de suivi des émissions polluantes de la ville : qu’est ce que c’est sinon mesurer l’efficacité du maire adjoint chargé de l’environnement ? S'en offusque-t-on ?
- Je ne pense pas que tous les chefs d’entreprise qui mettent sous surveillance la qualité de leurs produits, les coûts de production, les délais de livraison, etc, à l’aide d’indicateurs, « s'infantilisent ». Ils pilotent leur actions. Et je ne pense pas non plus que les mêmes se sentent « infantilisés » lorsqu’ils soumettent chaque année aux analystes leurs résultats financiers et leurs rapports de développement durable avec force détail et force chiffres.
La dernière critique : la France ne se gère pas comme une entreprise
La dernière critique est liée au point 5 précédent qui compare avec le monde de l’entreprise : "la France ne se gère pas comme une entreprise". C’est vrai, car l’objectif n’est pas le même. Mais pourquoi s’interdire d’utiliser des méthodes similaires appliquées à des objectifs différents ? La critique est un peu trop générale et « dogmatique » pour être recevable.
Au fond, que dévoilent ces critiques ?
Elles traduisent à mon sens deux craintes.
La première, c’est la crainte d’une corporation, celle des politiques, habituée depuis quelques temps à ne s’auto-évaluer que via de multiples sondages d’opinion, qui ont deux avantages : ils permettent de se tailler une popularité sur une image ; d’autre part ils sont facilement manipulables suivant la façon dont les questions sont posées, le moment où ils sont réalisés, etc. Ils sont en tout cas plus contestables que des indicateurs factuels, qui même imparfaits et tout aussi sujets à la manipulation, sont un peu plus rationnels que des sondages d’opinion. Entretenir le flou permet de conserver plus de marges de manœuvres ; se prêter à l’évaluation factuelle sur des résultats annoncés et mesurables précisément est un acte de courage car il peut se retourner contre vous.
La seconde crainte, c’est celle d’une certaine dérive vers un fonctionnement « mécaniste », où l’intuition disparaitrait. La politique en France a une tradition littéraire, qui préfère aux graphiques et aux chiffres la beauté et le flou de quelques envolées lyriques, bien tournées mais floues. Pourtant cette crainte de mécanisation n’est pas fondée. Demandez à un chef d’entreprise qui nage dans les chiffres et les rapports en tout genre, s’il trouve que son activité est « mécanique », ou si tel chef d'entreprise lorsqu’il a décidé de fermer une usine ou lancer un nouveau produit, n’a pris en compte que les chiffres qui lui étaient fournis. Sûrement pas. Les chiffres sont un support indispensable, mais ils ne sont pas tout.
Enfin, ces critiques mettent en lumière aussi un côté très Français : le culte de l’idéologie, du concept, de la théorie, mais une moindre performance dans l’action. Combien de fois des politiques ont-elles été lancées à grand renfort de tapage médiatique et non suivies dans le temps et encore moins exécutées jusqu’au bout faute des ajustements nécessaires et d’un suivi transparent de son avancement, voire d’une première phase d’expérimentation avant sa généralisation ? Un PDG d’une grande société multinationale, qui a bien raison, a coutume de dire que l’idée c’est 10-20% du travail, et la mise en œuvre 80-90% : si on a une idée quelconque, et qu’on la met bien en œuvre, on obtient un résultat, qui peut être bon ou mauvais ; tandis que si on a une idée géniale mais qu’on ne la met pas bien en œuvre, on n’a aucune chance d’avoir un bon résultat.
Conclusions
Les critiques sur le principe même de la mise en place d’indicateurs ne me semblent pas justifiées. Je trouve même l’initiative du gouvernement plutôt bonne sur le plan de la méthode, car cela va potentiellement dans le sens de plus de clarté et de transparence. Potentiellement seulement, car il ne faut pas se leurrer : on peut aussi manipuler les indicateurs.
Le débat devrait donc avoir lieu sur :
- le choix,
- la définition précise
- les méthodes de mesure
- les objectifs associés à ces indicateurs.
Mais dans la tête des politiques, et celle des médias aussi, ce débat assez technique intéresse sûrement assez peu les électeurs, en tout cas moins que les aventures de Carla et Nicolas.